MARJAN

 

 TERRE

Réveillé en sursaut
il crie :
" Terre ! Terre ! "
le vieux marin
qui prend contact...
avec le sol
de son jardin...
Tandis qu’escalade la muraille
et s’enfuit en zigzag
un déguingandé l’air canaille,
mutilateur de hamac...

 

 

HERITAGE

Mes chers enfants,
je crains fort que vous piquiez
grande colère
lorsque vos parents
ne seront plus
sur cette terre...
Le jour où vous découvrirez
les tas de chiffons de votre mère,
les tas de papiers de votre père...
Las ! De tout cela mes chers héritiers,
vous n’en tirerez guère d’avantages...
Chiffons de votre mère pour pâte à papier...
Papiers de votre père pour recyclage !...

3 avril 1982

 

 

FOIRE A NIORT

...A l’époque,
Niort avait sa place de la Brèche
qui était le champ de foire.
Je hantais les baraques foraines
comme cette fameuse ménagerie
du dompteur Marcel et de Marfa la Corse...
J’allais sans le savoir
sur les pas du lycéen Jean Richard...
Je me souviens de la fille-abeille...
Corsetée toute la journée
et suspendue par des fils,
elle faisait vivre ses parents...
Ses pauvres parents
qui ne pensaient pas ajouter
à leur exploitation
la vente de pots de miel...

25.9.83
 

 

 

COUR COMMUNE

Cour commune de mon enfance
où lorsque le temps était à la pluie
chacun pestait
contre le << cabinet >> du voisin
Il y en avait une demi-douzaine pas moins !

Cour commune de mon enfance
où le père Bouin
l'un des deux mille exploités
de l'usine pour gens gantés
ramenait sous son bras
un exemplaire de << La Croix >>
cadeau du patronat...
Je lui faisais la lecture.
Du feuilleton seulement
Et puis un jour enhardi
de ce que j'appelais
mon premier roman...

Cour commune de mon enfance
avec la mère Moussard
qui du matin au soir
tordait le cou
au linge sale des riches...
Lorsqu'elle pouvait libérer l'une de ses mains
c'était pour la poser au bas de ses reins...

Cour commune de mon enfance
où la fille en crise d'adolescence
me prenait entre ses jambes
au bas d'un escalier noir...
Elle découvrait
un pantalon
qui sur la misère de ses parents
en disait long...

Cour commune de mon enfance
où je n'ose plus aller
où vivent encore des enfants blêmes...
On y accède par un couloir sombre et si étroit
que le mur laisse sur les épaules
toujours un peu de lui-même...

(extrait de " Cour Commune " -1977)

 

 

LA DECISION

Papa,Maman et moi,
nous étions assis autour de la table,
regardant fumer la soupière.
- Te voilà grand, me dit mon Père,
Tu vas aller à la Primaire.
Aussitôt approuva ma Mère:
- Maintenant,
tu es grand !
Et en me faisant sur l'une des joues une caresse,
elle ôta le gros Larousse calé sous mes fesses...

 

 

SUR LE LONG CHEMIN....

Sur le long chemin de silex
le p'tit âne qui s'appelle Alex,
s'en va, trottinant, chargé de son maître
dont les pieds traînent sur le sol,
avec sur le ventre un sac de sel...
De ses godillots à plaquettes,
on voit voler des p'tites étincelles!.....

(15-1-1989)

 

 

LE BONHEUR


Après l'avoir arrachée à son bidonville,
Il lui dit, tout bas, à l'oreille :
" Tu seras heureuse ici, avec vue sur la Mer !
" Tu vois...il y a le château...
" Et il y a aussi le parc..."
Le château, c'était un château d'eau!...
Et le parc, un parc à huîtres!...

 

 

BRAVES GENS, DORMEZ EN PAIX !
Le M A R J A N de sable est passé !

LA SOIF

3/4 d'eau sur la surface du globe ...
92% d'eau dans le corps de l'homme...
2 litres de salive par jour...
Ce furent les dernières lignes
d'un style plein de sécheresse
cueillies dans le journal
de l'explorateur
mort de soif en plein désert....

 

 

LA VIEILLE ARMOIRE

S'estimant indigne
d'une résidence secondaire,
la vieille armoire de grand-mère,
rongée par les vers,
se traîna sur ses pieds vermoulus
jusqu'au talus de la route...
S'appuyant sur un poteau,
elle resta là, après avoir lu :
"Accotement meuble"....

 

 

DE FIL EN AIGUILLE

Ils filaient
le parfait amour
gardant souvent
bouches cousues
jusqu'au jour
où maladroitement
elle le piqua
au vif
en lui disant
qu'elle le ferait passer
par le trou
d'une aiguille.
Et c'est ainsi
qu'ils arrivèrent
à en découdre.

 

 

CE MATIN LA .....

Ce matin là,
Il pleuvait
comme dans un film ....
Il se laissa attacher au poteau
et il frissonna ...
Le bois avait passé la nuit dehors ...
Il éternua ...
L'eau lui dégoulinait
des cheveux
et des yeux.
Elle noyait ses larmes ...
A l'aumonier discret qui lui fit un signe
Il dit : " Je ne demande pas mieux ".
Sans qu'il soit question de Dieu,
il mourut debout
face au peloton trempé jusqu'aux os ...
En tenant un parapluie.

 

 

SANS PERMIS

Je suis interdit ...
J'ai beau me fouiller ...
je constate
que je n'ai jamais eu de ma vie
le moindre permis en poche ...
Pas de permis de conduire
Pas de permis de chasse
Pas de permis de pêche
Pas de permis de colportage
Pas de permis pour interdire quoi que ce soit...
A mes concitoyens
ma vie va devenir suspecte ...
Et ma mort retiendra leur attention !
Alors ? ... Pas de permis d'inhumation ?

 

 

Pouce au crime...

Quand on l'a mis à l'index
nul n'a levé
le petit doigt
pour le défendre...
Et à deux doigts
d'en finir
il est devenu
aujourd'hui...
homme de...mains !

6.12.1992

 

 

Les soles

Les soles se terrent
au fond des Mers...
Depuis qu'elles ont entendu
les voix des Maires
édicter des plans d'occupation !

9.02.1993

 

 

LES ENFANTS

Un poète ami
récemment m'a dit
" Je n'aime pas les enfants !"
Surpris, j'ai sursauté
et j'ai murmuré : " HA ! "
sans rien ajouter...
j'ai baissé la tête
devant mon poète ami
je me suis fait tout petit
moi qui au terme de mon automne
ne peux encore m'habituer
à l'idée
d'être une grande personne...

 

 

LES ENFANTS DANS LE CIMETIERE

Le concierge du cimetière
chasse les enfants
qui font " Vroom...vroom "
Sur la tombe encore fraîche
du dernier accidenté
qui n'a pas suivi
les conseils de Bison Futé...
Dans sa fuite,
un gosse abandonné
entre deux couronnes
sa voiture,
miniature
de celle du mort...

 

 

MORT D'UN ECOLO

Sans gens d'église en tête,
L'enterrement de l'unique école du village
Se déroule, rapide, sous un ciel lourd d'orage...
Et à travers les rues désertes
Une marginale agitée suit le convoi...
Accompagnée par des mouches vertes !...

 

 

POEMES D'UN IDIOT INTEGRAL par MARJAN

LE CHIEN SUR L'ECHAFAUD
Après avoir aboyé à la Mort,
sous le nez du bourreau,
le chien plongea sa tête
dans le panier de son...
Il prit entre ses dents
une bonne gueule par les cheveux
et la rapporta
aux pieds
de son maître décapité...

 

ON MET EN JOUE...
On met en joue
l'homme qui va mourir.
Contre ce mur.
Contre ce mur
sur lequel est juché
un groupe de curieux.
Tout à coup on entend hurler
" Feu ! "
Sous les balles du peloton
tombe le groupe de curieux.

 

LES JEUX DANGEREUX
Il m'arrive encor
de jouer au train...
Et au train
il lui arrive aussi
de jouer
avec un autre train...
Un train peut en cacher un autre...

 

LES LEVRES
Deux hommes aimaient la même femme.
L'un était de la classe dirigeante.
L'autre de la classe dirigée.
Celui de la classe dirigeante
prit possession
de la lèvre supérieure.
Celui de la classe dirigée
se contenta
de la lèvre inférieure.
On ne peut courir deux lèvres à la fois..

 

INAUGURATION D'UNE STATUE
Je ne comprends pas
qu'un homme
puisse être de pierre
au cours d'une érection...

 

LE PETIT CANTONNIER
Le petit cantonnier des chemins vicinaux
dépendit sa femme
Sans hâte...
Il observa
que sa langue pleine d'ornières
portait encor les traces
de pastilles de goudron...
Puis, à la grosse poutre,
après avoir reniflé,
il raccrocha le jambon...

 

 

A SUIVRE

L'ouvrière qui travaillait dans le textile
avait l'impression
que son mari soupçonneux imbécile
allait jusqu'à la filature...

Marjan

SACRIFICE

Le père sans travail
Le père sans gain
Le père sanguin
s'est saigné aux quatre veines
Pour que son fils obtienne
la place de tueur à l'abattoir...

 

 

LA PLUME

En écrivant
des poèmes contre la guerre
sur les pages vierges
du livret militaire,
il fit grincer
la plume sergent-major...

MARJAN


AU PIED D'UN MIRADOR

Au pied d'un mirador,
un homme exécute
l'hymne du tyran
à l'orgue de Barbarie...

 

 

GRANDE USINE

Au moment
où le Grand Patron
de la Grande Usine
fait la présentation
des Grandes Machines...
...qui travaillent d'arrache pied
on voit arriver
dans des fauteuils roulants
des Hommes ayant perdu pieds !

 

 

L'INSULTE

L'homme lança une insulte...
l'insulte tomba
dans l'oreille d'un sourd...
S'apercevant de l'infirmité
de l'insulté,
l'homme tira
l'oreille du sourd
pour repêcher son insulte...
Mais trop tard
l'insulte avait atteint le coeur...

 

 

SUR LES ARBRES

Je me sens ignorant
car je ne connais pas le nom
de tous les arbres...
Je voudrais une feuille de chacun
et pouvoir lui épingler
comme une fiche d'identité...
Quand je vois dans les forêts
les arbres se serrer de près
avant d'être abattus,
je me sens mal à l'aise
et me traite d'hypocrite
car je pense que leur bois
m'a permis cette page écrite !...

 

 

LE TRAIN ...

Le train sifflera trois fois
le garde-barrière
qui aura oublié de fermer
le passage à niveau...
Le garde- barrière
resté face à son petit écran
pour voir Gary Cooper plein de cran...
Le train sifflera trois fois...
Après avoir broyé le camion
d'un pauvre transporteur
de téléviseurs...

 

 

SUR LE QUAI DE LA GARE

Sur le quai de la gare,
Ils s'étreignent longuement,
si longuement
qu'ils se font siffler...
Puis se rappelant soudain
Saint-Exupéry
Et décollant leurs yeux,
Ils regardent tous les deux
Dans la même direction...
Leur train qui part
Sans eux.

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