Marcel BRUN

COMMENT VEUX-TU ?

Je sais bien que la terre est grise
et que ce n'est pour toi qu'un jeu
de la repeindre toute en bleue :
Mais je ne suis pas le Bon Dieu
et toutes les leçons demeurent mal apprises.

Comprends-le, sois donc raisonnable :
Je veux bien te faire plaisir
et poser un château de sable
Sur les dunes de l'avenir.

Je veux bien dire à mes semblables
les phrases même de l'amour
que tu m'enseignes chaque jour.

Je veux bien leur donner du miel,
Je veux bien peindre cette page
puisqu'ils ne lisent pas le ciel....
mais il faut toujours davantage.

Comment veux-tu, mon Dieu,
que dans si peu de blanc je mette tant de bleu ?

 LE SIMOUN

Marcel n'est pas mon nom,
Pierre n'est pas le vôtre :
Antony sonne bien parmi les satisfaits,
Mais il ne vaut pas plus que ne valent les autres
On ne baptise pas de noms de perroquets.
Quand le sel sera mis sur les langues épaisses,
L'huile sur les oreilles,
L'eau vive sur les yeux,
Chacun prononcera les premières caresses
Qui demeurent à prononcer.
Le baptême des mains fera fondre la glace
Qui fige la parole aux rivages d'oubli,
Et le nom prononcé devant tout ce qui passe
Ne sera pas de bruit.
Les chaires du désert ont toutes leurs prophètes,
Mais le soleil brûlé n'enfle pas à leur voix ;
Le simoun seulement en fait une tempête
Ou tout se réunit, se soulève et puis va.
Babel reste ton nom,
Babel reste le nôtre ;
Il colle à notre père,
Il colle à nos enfants,
Il est toute la terre
Et il est tous les temps ...
............................
Mais le Simoun approche
Et le Simoun s'entend.

PAROLES DE L'ABSENT

L'absent m'a pris la main
comme il le fait parfois pour me ramener à lui-même
et le courant vital a circulé en moi.
" Ecoute m'a-t-il dit, tu ne sais pas aimer,
et le temps presse pour t'apprendre.
Je te donne pourtant des exemples vivants.
Regarde cette fleur nourrie de terre et de fumier ;
Ce qu'elle restitue n'est que charme et parfum.
C'est ainsi que je t'ai conçu,
C'est ainsi que tu devrais être.
Toute fleur qui m'écoute est une fleur épanouie.
Tu ne sais que demeurer que main fermée sur mon offrande
Ce que je t'ai donné, d'autres me le demandent ;
Et tu demeures replié.
Bouton de chair, je te demande de t'ouvrir
Aux baisers du soleil et à la faim des hommes.
Laisse piller tes oripeaux.
Laisse tomber ta gangue
Et vit dans l'harmonie qui te veut diamant,
Pureté,
Transparence.
Si tu n'es pas cela, tu ne donneras rien,
Et malgré moi j'irais vers d'autres qui se donnent
Le temps presse et me presse :
Il faut multiplier,
Il faut épanouir
Et couler vers les yeux des gouttes de clarté.
Tu ne t' allégeras que si tu laisses prendre
Et la boue cessera de coller à tes pieds.
N'inverse pas l'amour,
Et ne ferme pas la porte
Sur les présents reçus qu'il faut changer en pain.

Notre table est la Table
Et l'hôtesse a grand faim.
Pour que notre pain vive, il faut qu'elle le mange
Laisse la porte ouverte et donne-lui la main.
Je te donne la mienne et par toi je l'atteins.
Viendras l'heure pour elle ou ce que tu lui donnes
Réclamera le don de toute sa personne....
Et nous aurons l'amie que nous cherchons tous deux.
Ainsi parle l'Absent quand mon chemin est creux.
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PAROLES DE L'ABSENT II

L'Absent est grave quand il parle,
Parce que l'heure est à la gravité.
Le siècle se partage et il faut avancer,
Laisser place à la mort qui va tout effacer.
L'heure est à la lumière : écoute-la tinter...
Les meilleurs s'engageaient, il faut que tu t'engages
A n'être plus qu'amour ou bien à n'être plus.
Le siècle partagé n'en est plus au partage.
Tu ne survivras pas si tu veux davantage.
On ne peut vouloir plus que l'Amour proposé.
Ce siècle nous baptise, et pour l'Eternité,
Dans l'aurore nouvelle où j'avance, où j'appelle
Une dernière fois ceux qui veulent aimer.
Qui m'entend doit venir,
Qui m'entend est marqué.
Les autres ont choisi ;
Je ne contrains personne.
Chacun peut refuser ce qu'un autre lui donne ;

Et même en vue du mieux je n'ai pas limité
Les chemins de l'Amour et de la Liberté.
Mais l'heure est au partage,
Il faut que je le dise
Et que ma voix résonne et soit répercutée.
Même dans le désert et dans la surdité
Je lance mon appel et je montre la faille :
Afin que chacun aille où son choix lui permet d'aller.
C'est pour toi que je parle et tu devras parler
Car la lumière parle,
Epanouit les choses :
Et ta voix est parfum comme celle des roses.
Va, mais ne presse pas, devance notre amour.
Sois pour qui se partage un monde commencé,
Et cela seulement.
Laisse la liberté
Entre tout ce qui vit et ce que tu dois être ;
Ce sera ta façon de naître et faire naître ;
Ce sera ta façon d'aimer.

Ainsi parle l'Absent : ainsi dois-je parler.
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PAROLES DE L'ABSENT III

Le don doit être pur
Pour pénétrer en flanc ;
Fais-toi des mains de lis
Et donne du pain blanc.

PRESILENCE

Et si je me taisais,
Si j'étais le silence nécessaire à toute harmonie
Tu parlerais peut-être
Oh ! Toi qui est la Vie
Et par qui
Je dois être.

Si comme le fait une paume,
Je me creuserai d'amour vers Toi,
Oubliant que je suis un homme.

Si le ciel se prenait au jeu
Et me donnait l'or des étoiles
Et le blanc des nuages
Et du bleu
Pour les yeux.

Si j'emplissais mes mains
Pour les mains qui se tendent
Et si je devenais celui qu'elles attendent.

Si j'étais seulement
Mais sans qu'on le devine,
Le parfait instrument
De la grâce divine.

LE VENT ET LES CORDES

Passe le vent entre les branches ;
et la feuille s'agite
et le rameau frémit.

Passe le vent dans la poitrine ;
et les cordes se tendent,
et le divin jaillit.

Glissent les mots et leurs caresses,
comme le sable entre les doigts,
et la minute dont la voix
est un " Sésame " de promesses.

Glisse le coeur vers la Parole,
Glissent les mots, glisse le vent :
et disparaît enfin le rôle
que l'on attribue aux vivants.

COMMENCEMENT (à B.Hauduc)

Toutes les lignes du néant
-la ligne étant un point qui se déplace
et le point n'ayant pas une infime surface -,
toutes les lignes du néant, avant que tout commence
s'étiraient démesurément
et se croisaient dans le silence
au point de croix des croisements.
Rien n'existait, sinon ces points
de chaque ligne du néant,
comme des pas vers quelque chose.
Et le vide était mouvement.
Alors la croix des croisements,
convergence de tous les points,
comme une goutte à peine éclose
devint force et rayonnement.
Et tous les pas de tous les points
se refirent en sens inverse,
et revinrent au croisement;
jusqu'à ce que de ce commerce
se peuple enfin tout le néant.

Cette énergie devint matière
-la matière n'est qu'énergie-
le mouvement devint sa vie,
et elle fut toute la terre,
et elle fut tout l'univers
et jusqu'à moi qui parle d'elle
et jusqu'à toi qui lis ces vers
et jusqu'à Lui qui l'épelle

Ainsi vint l' éternellement
sans fin et sans commencement.

ENCORE UN PEU DE TEMPS

Encore un peu de temps et je ne serai plus,
encore un peu de temps
et je serai vraiment.

Ma main aura perdu ce que l'on peut étreindre,
mais elle sera là ;
Tu n'as plus rien à craindre
et nous irons tous deux au pays du Matin.

Encore un peu de temps pour l'absence des yeux
mais il demeure la mémoire
où l'on découvre mieux
les fleurs à respirer et les sources à boire.

Tu verras l'essentiel, tu verras la nuance :
Il y aura du sel
dans la mer du silence.
Encore un peu de temps et je serai l'Ami,
encore un peu de temps et tu seras mon frère ;
garde le coeur ouvert et les yeux éblouis :
encore un peu de temps et tu seras lumière.

MIDI

Vous êtes flaque d'eau et il faut être source,
avancer vers la Mer qui ne vient pas vers nous.
Vous allez crier de douleur,
parce que l'inaction est impossible dans le monde.
Il faut que le soleil vous brûle et vous absorbe
pour vous conduire ailleurs,
puisque vous demeurez sur place.
Il faut sécher la boue que vous entretenez,
purifier l'eau que vous êtes
et que d'autres attendent pour étancher leur soif.
Le vent va soulever vos paupières engourdies.
Vous allez frissonner comme feuille dans l'arbre :
dans l'arbre-humanité qui doit vivre par vous.
Le barde vous appelle avec sa voix de goutte d'eau
Et chaque goutte tombe et tinte sur le coeur
qui recommence à battre.
Vous serez barde aussi ou vous ne serez pas :
source qui goutte un peu d'amour,
comme la sève goutte un peu de sève et d'oxygène.
Et l'arbre montera pour oublier la terre
sur laquelle il doit s'appuyer.
Et je serai dans l'arbre,
et nous serons dans la lumière
pour écouter la Voix du Vent.
Vous apprendrez cette musique
qui se joue lentement sur nos fibres tendues.
Vous serez vous même musique,
créature créant pour se nourrir et pour nourrir.

Par la magie possible et soumise aux vivants,
vous teinterez cette musique d'inimaginables couleurs.
Vous serez peintre et musicien de ce que pense le Poète.
Et je serai dans la musique,
et vous serez dans la peinture,
et nos fibres tendues seront autant de lèvres
vers les baisers permis.
Tout est possible à qui me croit ;
Il faut croire tous les possibles,
Sauf l'impossible pauvreté.
Que ma voix soit une baguette
Pour ouvrir les boutons de vie,
Pour réunir les flaques d'eau
Et en faire le fleuve qui progressera vers la mer
Qu'elle frappe sur le rocher
D'où jaillira l'eau baptismale :
Au nom du Vent,
De la musique
Et des baisers.

Il est midi sur notre terre.

DECOUVERTE

L'enfant ouvrait les yeux
mais demeurait enfant
et ne tarissait pas l'eau de l'étonnement.
Il allait à chacun, les mains pleines d'amour,
et chacun était loin,
chacun tournait autour des cercles d'habitudes
et ne se confiait qu'à des similitudes ;
et l'enfant avait mal de découvrir cela.
L'enfant restait enfant
et le mal restait là.
" Père, me disait-il,
père que faut-il faire ?"
Et je lui répondais en ma langue étrangère
qu'il ne comprenait pas.
Je lui disais les mots que j'avais cru comprendre
et le feu les portait pour qu'il put les entendre
car la parole brûle ou n'est pas entendue.
Encore un peu de temps lui disait ma voix nue.
Encore un peu de foi lui traduisait la flamme.
Et pendant que l'enfant se découvrait une âme,
pendant qu'il s'éloignait vers son nouveau chemin
-parce que je savais-, en inclinant la tête,
je répétais encore, aux portes de l'humain :
que votre Volonté soit faite !

IL FAUDRAIT........

Il faudrait avoir le courage de vider son coeur
et ses mains
de l'inutile et de l'indispensable.

Il faudrait donner avec joie, avec amour, avec délicatesse,
car le don angoissé n'apporte pas la paix, le sourire attendu.

Il faudrait, ainsi dépouillé, devenir un soleil
pour tous ceux qui ont froid et pour ceux dont
la vue se trouble.....
même s'il faut brûler pour devenir cela.

Il faudrait être le chemin pour tous ceux qui
avancent et qui doivent monter.....
même si ce chemin doit être piétiné.

Il faudrait, pour ceux qui s'enlisent, être la
main tendue.....
au risque de se perdre et de s'enliser avec eux.

Il faudrait tout aimer et il faudrait se faire
un coeur immaculé.....
pour l'offrir à la boue si de boue sont nos frères.

TON NOM

Sur le tableau noir de la vie,
J'écrirai ton nom à la craie bien blanche.
J'apprivoiserai l'oiseau sur la branche,
Afin qu'il le crie.
Je me pencherai sur l'eau de la source
Qui l'emportera
Au bout de son bras,
pour le promener dans toute sa course.
Ton Nom, j'en ferai le vivant baiser
Que le vent prendra pour le déposer
Sur toutes les lèvres.
Et il parlera
Et il donnera
La fougue et la fièvre
A ceux qui ont froid.
Il soulèvera
L'Homme multitude,

Ton nom : ALTITUDE -

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