COTTRELLE Emilienne

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LISBONNE

Je voudrais revoir encore ces barques colorées
Balancées par les vagues dans le port de Lisbonne.
Dieu ! que la vie était bonne
Et heureux nos coeurs énamourés.

Les gros poissons aux couleurs brillantes
Nous attiraient tout en nous étonnant,
Ils frétillaient sur les étals gluants
Palpés par des acheteurs aux voix chantantes.

Et puis, t'en souviens-tu ? Une nuit
Nous rentrions tard d'une longue errance
Et voilà que, tout à coup, dans le silence,
S'éleva une voix chaude chantant la vie,

La vie avec ses joies mais surtout ses misères;
Et la guitare accompagnant ce fado
Traduisait en un poignant duo
Toute la tristesse de la terre.

Emus jusqu'au fond de nous-mêmes
Me serrant très fort contre toi
Qui ne fait qu'un avec moi,
J'ai juré de ne jamais te faire de peine.

Dieu ! que la vie était bonne
Et heureux nos coeurs énamourés
Balancés dans les barques colorées
Du vieux port de Lisbonne.

Emilienne COTTRELLE
Montry, le 9 Septembre 1991

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TON RIRE
A ma fille

Ton rire qui éclate comme une fanfare
Fanfare d'airain et de cymbales,
Cymbales de cuivre étourdissantes;
Etourdissantes de joie et d'amour,
D'amour distribué autour de toi,
De toi que j'aime plus que moi !

Emilienne COTTRELLE

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LE ZODIAQUE EN EMOI

La VIERGE vient d'avoir des GEMEAUX
Et le ciel est en effervescence;
La nouvelle a été répandue par le VERSEAU.
Moi, dit le SAGITTAIRE, je m'en BALANCE,
Mais que va dire le TAUREAU ?
Car, avec le BELIER et le CAPRICORNE,
On peut bien le dire tout haut :
Elle préférait les bêtes à cornes.
Les POISSONS ouvrent des yeux tout ronds
Et pensent : A quoi ça sert
De faire des bulles, il faut avertir le LION.
Puis ils foncent droit sur le CANCER
Qui leur répond : laissez faire le SCORPION,
Et que chacun regagne sa baraque,
On ne peut pas changer le zodiaque !

Emilienne COTTRELLE

Montry le 9 Février 1990

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AUTOMNE

Un petit vent frais ébouriffe mes cheveux
Au loin, dans la campagne, s'élèvent des feux,
Et le jour s'écoule monotone,
C'est l'automne.

Les grands peupliers se dressent, majestueux,
Sous leur parure d'or, fastueux.
Et les feuilles, autour de moi, tourbillonnent,
C'est l'automne.

Rangé, le grand chapeau, aux rubans soyeux,
La lumière ne fait plus cligner les yeux,
Le gros chat blanc se pelotonne.
C'est l'automne.

Et s'égrènent des jours ennuyeux
Le coeur n'est pas toujours joyeux
Et, bien souvent, il frissonne.
C'est l'automne.

Il faudra bien subir ce temps venteux,
Jusqu'au printemps peureux
Qui, sous la terre, bouillonne.
Et fini sera l'automne.

Emilienne COTTRELLE

Montry, le 13 Octobre 1993

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UNE PHOTO JAUNIE

Lors de rangements dans une armoire,
Je trouvai, au fond d'un tiroir,
Une vieille photo jaunie.
Dieu ! que ce visage est joli !

C'est celui d'une petite fille sérieuse,
Les épaules nues voilées d'une gaze vaporeuse,
Un gros noeud retient ses boucles blondes;
Elle semble venir d'un autre monde.

Qui est-elle ? Je retourne la photo
Et je lis au dos: A ma chère marraine
Mai 1906, et c'est signé : Reine.

Je ne l'ai jamais vue, je ne l'ai pas connue,
Et je n'en sais pas plus;
Ce n'est qu'une photo jaunie.

Emilienne COTTRELLE - Montry, le 20 Février 1994

 

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HIVER ROUGE

Un disque rouge dans un ciel gris
Derrière un arbre dépouillé
Se découpant en ombre chinoise.

Une gorge rouge qui palpite
Sous le froid qui fige
Deux petites pattes gelées
Sur la branche dépouillée.

Un feu rouge clignote
Au carrefour d'une rue
Et crée des jeux de lumière
Sur un visage émacié.

Une tache rouge colore la neige
Qui couvre le sol
De ce pays crucifié,
La mort a passé.

Rouge, le soleil froid !
Rouge, la gorge de l'oiseau !
Rouge, le feu sans chaleur !
Rouge, le sang d'un peuple qui meurt !

Emilienne COTTRELLE
Montry, le 22 Novembre 1993

 

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MONTRY

M algré que sur lui souffla un vent de guerre,
O ublieux du passé, il s'est mis à revivre,
N e gardant qu'un clocher du haut duquel naguère
T intait la cloche. Et voici un livre
R elatant son histoire. Allez donc un dimanche
Y rêver le long de la rivière où se baignent les branches.

Montry le 10 août 1988
Emilienne COTTRELLE

 

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L'ETRANGERE

Elle est entrée dans ce bar mal famé
Sans rien voir, un peu par lassitude,
Toute frêle dans l'atmosphère enfumée,
Peut-être pour oublier sa solitude.
Accoudée au comptoir, elle a laisser errer
Sur ces gens un regard perdu;
Puis, elle s'est mise à chanter
Un vieil air inconnu
Où l'on parlait d'aventures
Et de mauvais garçons.
Pour écouter la chanson,
Les buveurs se turent.
Cette voix étrange et rauque
Leur donnait des frissons,
Et chaque mot était un choc
Qu'ils recevaient avec effroi.
Cette enfant, tout à coup, leur fit peur;
Ils ne comprirent pas sa douleur
Et personne ne lui tendit la main.
Alors,elle sortit lentement,dans le froid.
Ce n'est que le lendemain
Q'on découvrit,dans la rivière,
L'étrangère.

Emilienne COTTRELLE
Montry le 16 février 1990

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ADOLESCENTE

Cheveux au vent, béret sur l'oeil,
Fendant la foule avec assurance,
Aux lèvres un sourire que l'on cueille,
Dans ses yeux rêveurs, une insouciance.

Elle a des cajôleries de chatte
Quêtant des caresses,
Puis allonge un coup de patte
Pour masquer sa tendresse.

Plus tout à fait enfant et pas encore femme,
Passant, sans raison, des rires aux pleurs,
La nuit, elle se torture l'âme
En s'inventant des malheurs.

C'est le chaud, c'est le froid,
Elle ne sait ce qu'elle veut
Et ne comprends pas ces émois
Qu'elle retient comme un aveu.

Puis, cheveux au vent, béret sur l'oeil,
Elle refend la foule avec assurance,
Oubliant ses soucis; pourvu qu'on accueille
Ses rêves insensés et son insouciance.

Emilienne COTTRELLE
Montry, le 27 Février 1994.

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LA VALSE

C'était l'entre deux guerres,
Le temps des années folles;
Assis devant leurs verres
Au Flore où à la Coupole,
Du matin au soir ils discutaient,
Et les idées valsaient, valsaient,
Et les idées valsaient.

Dans les bals de quartiers,
Le soir, après le turbin,
Les braves ouvriers
Retrouvaient leurs copains
Ou quelquefois, s'acoquinaient.
Et les couples valsaient, valsaient,
Et les couples valsaient.

A la pelouse, les gosses de riches
Misaient gros sur les chevaux;
Ils perdaient : du pognon, on se fiche,
Même de se faire plumer comme des perdreaux.
Qu'importe ! ils s'amusaient.
Et les billets valsaient, valsaient,
Et les billets valsaient.

Tandis que les gouvernements
Ne pouvant trouver de solution
Changeaient à tout moment,
Désespéraient de la nation
Car les événements les dépassaient
Et les gouvernements valsaient, valsaient,
Et les gouvernements valsaient.

Cela ne pouvait plus durer;
Nos voisins épiaient tous nos gestes
Et en silence se préparaient.
Tout à coup arriva de l'est
Ce que personne ne pressentait,
Et les têtes valsaient, valsaient,
Et les têtes valsaient.

La tornade est passée maintenant,
On n'en parle plus, silence !
On n'entend plus que le son dominant
Du rock qui mène la danse.
Il faudrait improviser ,mais ...
On ne sait plus valser, valser,
On ne sait plus ...

Emilienne COTTRELLE
Montry le 15 Novembre 1989

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L'ODEUR DES SAISONS

Les saisons ont leurs couleurs
Mais aussi leurs odeurs ;
Je sais les reconnaître
Lorsque j'ouvre ma fenêtre.

Quand le soleil perce les nuages,
Au printemps, la brise se charge
Du parfum discret du muguet
Ou des lilas capiteux, mais aussi
De l'odeur miellée des cerisiers fleuris.

En été, flotte autour de la maison
La senteur du foin coupé, de la moisson,
Mêlée à l'arôme balsanique des sapins
Et à la fragrance indéfinissable des matins.

Puis vient l'automne, et de la plaine
C'est l'odeur des fruits que le vent apporte
Avec la décomposition des feuilles mortes
Et le parfum âcre des chrysanthèmes.

L'hiver a aussi ses odeurs et leurs cortèges :
Celle du vent qui annonce la neige,
De la fumée que la tempête rabat
Ou du brouillard pollué: vain débat !

Emilienne COTTRELLE
Montry le 2 Septembre 1992.

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MEMOIRE PERDUE

Des vers m'étaient venus,
Je les ai perdus.

J'avais tout plein d'idées,
Elles se sont envolées.

Et ces souvenirs
Que je ne peux plus saisir...

Je cherche ton cher visage,
Il n'est plus qu'un nuage.

Je n'arrive plus à me rappeler
Mon passé.

Vais-je perdre la mémoire ?
Je n'ose y croire.

Est-ce la vieillesse
Qui est cause de cette faiblesse ?

Voyons, je dois m'accrocher
Et ne pas flancher.

C'est l'affaire d'un instant !
Et je me souviens, maintenant,

Je me souviens
D'un petit rien,

Mais où ? mais quand ?
C'était au temps...au temps...

Emilienne COTTRELLE
Montry le 15 Novembre 1990

 

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LA NUIT ME PARLE

Parfois, allongée dans le noir, ne pouvant dormir
Parce que je ne suis pas fatiguée ou que j'ai des soucis,
J'allume, je prends un livre et je me mets à lire,
Mais, bien souvent, j'écoute les bruits de la nuit.

Ce n'est d'abord qu'un léger chuchotement :
La brise est passée sur la cime des peupliers.
Puis j'entends les tendres roucoulements
Nocturnes d'un couple de ramiers.

Au loin, sur l'autoroute, le grondement incessant
Des voitures crée un bruit de fond tenace
Sur lequel vient se greffer le hululement
Lugubre d'une chouette en chasse.

Si, accoudée à la fenêtre, je contemple
Le ciel étoilé où, très haut, un avion clignote,
J'ai aussitôt une angoisse et je tremble,
Et je demande à Dieu d'en être le pilote.

Je me recouche et, malgré moi, je tends l'oreille,
J'aime entendre ces bruits qui sont la preuve
Que je ne suis pas seule, que la nature sommeille
Mais qu'elle renaîtra, inlassablement, toujours plus neuve.

La maison craque et semble me dire :
"Alors, tu t'endors ? il n'y a qu'à cette heure
Que tu peux entendre mes soupirs."
La nuit me parle et je l'écoute avec ferveur.

Emilienne COTTRELLE - Montry le 14 Octobre 1990.

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RIVIERE, O MA RIVIERE !

Rivière, ô ma rivière, qu'ont-ils fait de toi ?
Je te revois après une absence involontaire
Et ces engins qui retournent la terre
Semblent pénétrer au plus profond de moi.
Labourées, tes berges dont la couleur change au fil des mois,
Abattus, les arbres où s'abritait le pêcheur,
Seule, son ombre s'allonge sur l'eau sans couleur.
Rivière, ô ma rivière, je souffre pour toi.

Rivière, ô ma rivière, défends-toi
De ces hommes insensibles aux beautés de la nature,
Détruisant tout: et la joie et l'harmonie et la culture;
Contre leur avidité, je suis avec toi.
Il paraît qu'ils vont te combler de gravats,
Te transformer en bretelle de déviation
Pour dégager la route des camions,
Rivière, ô ma rivière, cela ne se peut pas !

Rivière, ô ma rivière, j'ai besoin de toi,
De tes rives fleuries où je me promenais
Accompagnée de ma muse, et je rimaillais
En t'admirant et en rêvant de toi.
Les élans romantiques et tout cet émoi
Que tu faisais naître, vais-je les retrouver ?
Jailliront-ils à nouveau dans mon âme éprouvée ?
Rivière, ô ma rivière, j'ai besoin de toi.

Rivière, ô ma rivière, venge-toi
Avant qu'ils ne t'aie détruite complétement
Rassemble tes forces, déchaîne tes éléments,
Ravage leurs travaux et redeviens "toi";
Que sous tes ramures gazouillent les oiseaux,
Que cygnes et canards glissent sur tes eaux
Au fil des saisons, comme autrefois.
Rivière, ô ma rivière, redeviens TOI !

Emilienne COTTRELLE
Montry, le 2 Septembre 1992

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SI J'ETAIS...

Si j'étais une fleur,
Je serais l'humble violette
Cachée sous ses feuilles
Et qu'aucun amour n'effeuille.
Je serais l'humble violette
Si j'étais une fleur.

Si j'étais une couleur,
Je serais le rose tendre
Du ciel, le soir, à l'horizon
Quand le soleil se couche derrière ma maison.
Je serais le rose tendre
Si j'étais une couleur.

Si j'étais une voix,
Je serai celle de la brise
Chargée des parfums du printemps
Et du chant des oiseaux, à contre-temps.
Je serais celle de la brise
Si j'étais une voix.

Si j'étais... Si j'étais quelque chose,
Je voudrais être tout :
Et une voix, et une couleur,
Et un amour, et le bonheur.
Je voudrais être tout
Si j'étais quelque chose !

Emilienne COTTRELLE
Montry le 14 Juin 1993

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DIX DOIGTS

Dix tout petits doigts maladroits
Faisaient les marionnettes
Au fond de la couchette
Où jouait l'enfant-roi.

Dix doigts légers couraient
Sur le clavier d'ivoire
Dans la tiédeur du soir,
Et la jeune fille rêvait.

Dix doigts d'artiste voletaient
Autour de la robe de fée
Qui habillerait la mariée
Et la cousette chantait.

Dix doigts doucement caressaient
Un visage offert
Et tout était désert
Autour des amants enlacés.

Dix doigts déformés et tremblants
Noués à une main raidie
Voulaient retenir la vie
Qui s'en allait doucement.

Emilienne COTTRELLE
Montry le 2 Aout 1990

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